La stratégie du cucul la praline
Le 30 novembre prochain est
annoncée à Lyon (et dans d’autres villes de France) une « grande marche
pour la Vie ». Des anti-IVG quoi. Les « marches pour la vie »,
il y en a régulièrement, et d’habitude elles sont clairement signées par
« des associations opposées à l’avortement ». Mais on observe ici un
changement significatif dans la stratégie de communication utilisée : Super Féministe
vous propose une petite analyse de cette stratégie, à partir de l’affiche qui
appelle à la marche.
La photo ressemble à une pub
pour une mutuelle de santé, avec une touche de diversité à la Benetton :
une famille réjouie, un enfant trisomique avec une bonne bouille, une petite
fille d’origine asiatique…
Les couleurs de l’affiche
sont bleu-blanc-rouge, mais le code cocardier est tempéré par le choix d’un
bleu ciel, et surtout par une touche de couleur verte : un ballon
(évocation de l’enfance, de la fête) qui porte l’inscription « Pour une
écologie humaine » (on récupère le capital sympathie de l’écologie en
évacuant son contenu politique et critique, et on fait ainsi référence à une
loi « naturelle »).
Les organisations figurant
en bas du tract d’appel sont J’aime la Vie et Université pour la Vie, et il
faut aller sur leur site pour apprendre qu’elles sont directement liées au
diocèse de Lyon (Barbarin en page d’accueil). Le caractère confessionnel de
l’événement se fait donc plutôt discret.
Derrière le tract, un appel
à venir « défendre la Vie » qui s’adresse personnellement au
lecteur/trice :
Si tu crois que chaque personne est unique
Si tu crois que chacun est digne d’être aimé
Si tu crois qu’être différent n’empêche pas d’exister
Jusque là c’est un peu cucul
la praline, mais ça pourrait être un message de respect des différences.
Ensuite ça devient plus clair :
Si tu crois que dès la conception, la vie se doit d’être
respectée
Donc, OK, c’est bien des
anti-IVG, mais qui font le choix ici d’inscrire leur combat dans une vision et
une présentation qui ratissent plus large. Adieu les slogans comme
« Planning Familial = nazi », ou « avorter c’est tuer », ça
fait trop violent. Fini l’appel à la prière, le « Rosaire pour la
vie » qui sentait trop la grenouille de bénitier. Inspirées par le succès
inattendu des mobilisations contre le mariage pour tous/tes, ces assos ont bien
travaillé leur com’. On entend d’ici les conseils : « il faut parler
en po-si-tif ! »… au point de masquer en grande partie leurs vraies
revendications derrière des propos lénifiants.
La liste des revendications
arrive ensuite à la fin du tract. Chacune commence par les mots « Nous
désirons… » : encore l’idée de gommer toute agressivité...
Super Féministe s’est glissée dans la réunion de communication
qui a rédigé tout ça. Elle s’est amusée à divulguer le sous-texte qui manque à
ces phrases. Voici ce que donne l’exercice (les vraies phrases
sont en bleu) :
Nous désirons
des centres d’accueil et d’accompagnement réels, pour les femmes qui
connaissent la détresse face à l’avortement,
Ҫa
la fout mal de traiter les femmes qui interrompent leur grossesse de tueuses
d’enfants, alors faisons comme si nous avions un esprit d’ouverture envers ces
femmes en détresse. La notion de centres
d’accueil et d’accompagnement réels, c’est parce qu’on nous dit qu’il
existe déjà des centres, mais on sait bien que le Planning Familial prône le
« tout-avortement » (avec nos impôts !), tandis que nous, avec
nos associations anti-IVG masquées derrière une façade de neutralité, on a
acquis de bonnes compétences pour donner de fausses infos, culpabiliser, sermonner,
parler de « la joie d’avoir un enfant », et des fois ça marche !
Nous désirons
une recherche scientifique basée sur les cellules souches autres que les
embryons,
C’est
assez mauvais pour notre image de passer pour des rétrogrades ennemis des avancées
scientifiques et bloquant des perspectives thérapeutiques importantes par
idéologie, alors continuons notre lobbying auprès des politiques, nos
interventions dans les divers comités d’éthique pour bloquer la recherche sur
les cellules souches embryonnaires, et disons-leur : nous n’avez qu’à les
trouver ailleurs, vos cellules !
Nous désirons
une société qui voit l’enfant comme un don, et non comme un poids ou un droit,
Et
oui, un don de Dieu tout simplement. Et paf pour les avortées et les avorteu-r-ses
(le poids), et paf pour les homos et lesbiennes (le droit). Tout le monde
comprendra le message, et on ne va pas rappeler trop fort que de toute façon
pour nous, la PMA même pour les hétéros, c’est pas bien parce que ça contrevient
à la volonté divine !
Nous désirons
une société où le sourire d’un handicapé est aussi beau que celui de n’importe
qui,
Bien
trouvé cette phrase : personne ne peut être contre ! Ҫa nous évite de
préciser que ce qu'on veut réellement, c'est interdire l’Interruption Médicale de Grossesse, possible en
France quand une malformation de caractère grave et incurable est décelée au
cours de la grossesse, ou quand la vie de la mère est menacée (c’est à Dieu de
choisir, pas aux couples !).
Nous désirons
une société qui défend le plus faible, reconnaît que chacun de nous est
vulnérable et affirme qu’aucune forme d’eugénisme ne peut se justifier,
Ҫa
c’est pour enfoncer le clou : qui pourrait décemment se déclarer contre la
protection des plus faibles ? C’est assez malin, parce que les gens
comprennent d’abord : on veut de l’amour, de la fraternité, des moyens
pour le secteur du handicap. Ensuite on leur parle d’eugénisme : c’est
moche ça, ça fait peur, ça fait nazi. On n’est pas obligé de dire que, en plus
de notre opposition à l’IMG, on est aussi contre toute tentative de diagnostic
pré-implantatoire, quand l’un des deux parents est porteur d’une maladie
héréditaire grave.
Nous désirons une société où l’on n’apprendra pas à nos enfants qu’ils
peuvent choisir leur sexe,
Quelle
horreur ! La confusion des genres, les garçons qui jouent à la poupée, des
femmes qui délaissent leurs fourneaux : tout est résumé dans notre formule
« transphobe » comme ils disent (alors qu’on ne les hait pas il faut
juste les soigner !)
Nous désirons
une société où la vieillesse est choyée, entourée, estimée, et non une société
qui considère qu’elle coûte trop chère !
Vive
les vieux et les vieilles, c’est bien positif ça ! et il faut des
moyens : bon c’est sûr que notre public, c’est un peu ceux qui veulent
toujours payer moins d’impôts et de charges, qui fustigent l’assistanat, et qui
donnent tout le secteur de la santé et de la dépendance aux entreprises
privées… mais on n’est pas à une contradiction près. Tant qu’à raquer, autant que ce soit pour nos petits vieux
plutôt que pour les salauds de pauvres !
Enfin soyons un peu honnêtes, ce passage parle à mots couverts d’un
autre de nos combats historiques : l’interdiction de toute forme
d’euthanasie, d’assistance au suicide, de mort choisie… Parce que c’est Dieu
qui décide et pas toi pauvre humain ! Et excommunication pour tous les
suicidé-e-s !
Nous désirons une société où chacun puisse être entendu dans le
respect de la personne humaine, dans le respect de la liberté d’opinion et de
conscience.
A
l’heure où certain-e-s demandent la suppression de la clause de conscience sur
l’IVG pour les professionnel-le-s de santé, nous disons au contraire :
multiplions les clauses de conscience ! Pour les maires obligés de marier
des couples homosexuels par exemple ! Et plus généralement parce que la
loi de Dieu, la loi naturelle est supérieure aux lois humaines, comme le disait
Barbarin il y a peu (la laïcité ça va pour emmerder les musulmans, mais nous on
ne l’a toujours pas digérée !)
Alors, comment faire du neuf avec de vieilles idées ?
Résumons la tentative :
Surfer sur le succès de la
vague réac contre le mariage pour tous/tes et essayer de mener de front
différents combats : avortement, euthanasie, évolution des formes de
famille, genre, sexualités…
Gommer tout allusion directe
à la religion (mais le vocabulaire et le « style » de la com’ parlent
d’eux-mêmes, et il suffit de creuser un peu en allant sur les sites concernés
pour y voir plus clair).
Parler « en
positif », édulcorer un maximum les propos, au risque de les rendre
incompréhensibles pour les non-initié-es, dépolitiser le débat (mais, oh
surprise ! il se trouve que cette marche va être rejointe par des groupes
bien estampillés fachos ce jour-là).
Bref, une stratégie du cucul
la praline qui ne dupe pas grand monde.
Antoinette FonK