Un article un peu de fond sur le masculinisme...

Le masculinisme1 c'est quoi au fait ?

Nous allons faire un petit retour historique, une analyse un peu théorique (mais pas trop, promis!) et surtout un peu plus approfondie sur ce mouvement masculiniste qui prône une soit disant « crise de la masculinité » néfaste pour la société en général et les hommes en particulier. Nous analyserons les principales idées et revendications de ce « mouvement » pour montrer ô combien elles sont éloignées de la réalité ! Nous démonterons d'abord leur argument phare d'une « crise de la masculinité » qui s'abattrait sur eux et nous tou-te-s. Ensuite, nous nous attarderons sur leurs principaux chevaux de bataille : la « défense des droits des pères divorcés ou séparés » et les « violences subies par les hommes ». Nous reviendrons tout le long sur des exemples précis et nous appuierons sur ce que ces masculinistes ont pu dire ou écrire pour mieux montrer la dangerosité de leur discours.

Une première définition...

Le masculinisme est défini par Hélène Palma comme « une idéologie rampante » qui tend à affirmer que les hommes sont victimes « des excès » des femmes qui, « auraient exagéré », ayant obtenu « trop de droits, de libertés (…) elles seraient devenues « incontrôlables » »2. En effet, selon cette auteure, le masculinisme serait une idéologie très ancienne qui aurait pris « au cours des dernières décennies, la forme d’une mouvance d’une radicalité extrême dont l’objectif non avoué, (...) est d’entraver la liberté des femmes que les acteurs de cette mouvance ne considèrent pas comme leurs égales »3. Elle fait remonter l'origine de cette mouvance aux années 1950 où l'on voit apparaître les premiers regroupements d'hommes qui, vu le développement du divorce, vont contester les pensions alimentaires par exemple. Le « masculinisme » ou le « discours de la crise de la masculinité » n'est pas nouveau et il est intéressant de repérer son histoire pour ne pas tomber dans le piège de ces mouvements et leur discours sur une « crise de la masculinité » qui serait propre à notre temps et due aux avancées d'un féminisme qui « serait allé trop loin ».

Une « crise de la masculinité » ?

Nous nous appuierons sur l'idée développée par Francis Dupuis-Déri, chercheur canadien, spécialiste entre autres du mouvement « masculiniste »4 lors d'une conférence au colloque sur « Les coûts de la masculinité »5. Il montre qu'à plusieurs moments de l'histoire de l'occident depuis la sortie du Moyen-Âge des discours de « crise de la masculinité » se sont développés. Par exemple dès la fin du XVe siècle, les procès pour sorcellerie se développent de façon importante avec des discours visant à accroître la méfiance des hommes envers des femmes aux pouvoirs magiques6. En même temps, la montée de l'idéologie nataliste voit le jour et donc la répression de la contraception, l'avortement et l'infanticide mais aussi de la prostitution et de l'adultère des femmes (passibles de peine de mort!!) : ce sont les moyens de contrôle du corps des femmes qui se développent !! Il repère dans ce contexte « de renforcement du patriarcat » le développement de discours de « crise de la masculinité » chez les élites et dirigeants européens. Par exemple, chez les élites anglaises du XVIe7 qui s'inquiètent du non respect de la différenciation des sexes (et oui, ça remonte à longtemps tout cela !!!). Par exemple, des pamphlets critiquent tantôt « les femmes à cheveux courts [portant] un poignard », tantôt « les hommes poudrés de la cour »8 ! Ainsi, comme aujourd'hui, nous avons à faire à un discours de crise et non à une crise à proprement parler puisque nous savons bien qu'à cette époque ce sont les hommes qui ont le contrôle de la société. Au XIXe siècle, le même discours est présent avec des représentants connus comme Proudhon pour qui « mieux vaut une femme estropiée à la maison qu'une coquette ingambe à la promenade »9 ou Alexandre Dumas fils qui va « encourage[r] les hommes à « « reconquérir » la nature, les femmes et les enfants […] pour s'affirmer mâle »10. Y en a qui paniquent et s'exclament « c'est nous, les hommes qui feront les confitures et les cornichons » !!11  dans un contexte où les femmes n'ont aucun droit politique en France ! 
Nous avons cité ces quelques exemples qui nous semblent assez révélateurs de la récurrence du discours de « crise de la masculinité » dans l'histoire occidentale car il est facile d'oublier cette récurrence tellement nous sommes martelé-e-s par la « nouveauté » du « mouvement masculiniste ». Dupuis-Déri va conclure en montrant quatre similarités entre « les crises » du passé et celle d'aujourd'hui. D'un côte, on exagère l'influence du « féminin » sur le « déclin du masculin », ensuite, ces discours se développent dans un contexte où les hommes se trouvent en position dominante dans la société. Voilà quelques exemples, des tristes évidences qui prouvent la position dominante des hommes aujourd'hui : les femmes sont sous-représentées à l'Assemblée nationale12 et à la tête des entreprises. Elles gagnent moins que les hommes13, elles consacrent, encore de nos jours, plus de temps que les hommes à s'occuper des enfants, des tâches domestiques14.   

Ensuite certains, tel Eric Zemmour, disserteront sur l'influence du « féminin » sur le soit disant « déclin du masculin » par exemple il dénonce l'oubli du « macho viril »15. Pourtant nous n'avons qu'à aller voir, du côté des modèles « masculins » et virils qui nous bombardent dans la société pour démonter leur argumentaire. Sportifs, génies artistiques, présidents, les plus riches au monde mais aussi, les soldats, les terroristes, les héros de films d'actions, les super-héros de plus en plus musclés sont... tous des hommes !! Alors qu'on vienne pas nous dire qu'il y aurait un manque de « modèles masculins », ils sont toujours présents partout, ces « modèles » d'hommes virils, violents et forts. Ce qui n'est pas sans nous déplaire (naturalisation des rôles de genre, etc.) mais nous en reparlerons dans un autre article promis ! ;-). Ce discours de crise cherche aussi à délégitimer l'émancipation des femmes et porte en lui l'idée d'une « différence naturelle » entre les sexes et d'une « nature masculine » à revendiquer, des notions qui restent floues et non définies. 
En effet, dès que des femmes accèdent à des métiers ou des études traditionnellement « masculins », les masculinistes crient au danger ! Pour certains, une seule femme est déjà le risque d'une féminisation des métiers et par la suite de la société...



Prenons le triste exemple de la tuerie à Polytechnique au Québec (Canada). Le 6 décembre 1989, Marc Lépine, armé d’une carabine semi-automatique tue 13 étudiantes et une employée de l'École polytechnique de Montréal. Il blesse aussi 13 autres personnes, dont neuf femmes et quatre hommes, avant de s’ôter la vie. Le tueur a fait irruption dans une salle de cours et il demande aux garçons de se ranger d’un côté de la classe et aux filles de l’autre côté. Lépine fait sortir les garçons et criera ensuite aux femmes restantes : « Je combats le féminisme » et «Vous êtes des filles. Vous allez devenir ingénieurs. Je hais les féministes»16. C’est alors qu’il ouvre le feu et qu'il tue 14 femmes et se donne la mort. Voilà un exemple extrême de ce que le masculinisme peut faire. Même si il n'y avait que 19% de femmes étudiantes à Polytechnique à la date de la tuerie, Lépine considérait que leur présence était déjà de trop. La place des femmes n'est pas à Polytechnique, on le sait bien, mais à la cuisine en faisant des petits-fours à son « gentil mari »... 
Et puis, pour ce qui est de cette crise d'une « identité masculine naturelle » : elle nous pose problème car nous ne pensons pas qu'il y ait une identité naturelle, déconnectée du social. Nous ne sommes pas essentialistes, nous pensons que nos identités se construisent dans la société, nous ne pensons pas que l'on soit programmé biologiquement ou génétiquement pour faire certaines tâches ou nous comporter d'une certaine façon, etc. (ex. femme-ménage-sensible, homme-bricolage-physique). Non, nous combattons ce discours car il tend à légitimer la hiérarchie entre les hommes et les femmes et à légitimer les inégalités. Donc derrière cette revendication d'une « identité masculine » perdue ou en train de se perdre, qui leur permet de se présenter comme des victimes, nous avons affaire à un discours qui défend le pouvoir des hommes et leur position dominante dans la société. Un discours qui refuse clairement l'égalité entre les hommes et les femmes. Yvon Dallaire, psychologue et sexologue masculiniste canadien, très médiatisé, a déclaré sur les ondes de Radio-Canada « tous les être humains sont égaux. Mais si tout le monde était sur le même pied, ce serait le chaos. (…) Et c'est le rôle des hommes dans la société [de] structurer. »17 . On est égaux mais pas complètement, alors... Nous refusons d'accepter ce genre de discours !! 

Pour finir, n'oublions pas combien un « discours de crise » est plus « vendeur » qu'un discours sur la simple et triste réalité. Les médias sont friands de ce genre d'informations, le discours de crise permet aux masculinistes d'accéder aux espaces publics et médiatiques et de développer leurs thèses comme ils le souhaitent. L'un des personnages les plus médiatisés en France est, comme on l'a dit, Eric Zemmour, auteur du livre Le premier sexe dont le quatrième de couverture résume son positionnement : « Après des décennies de féminisme forcené, que reste-il de l'homme ? (…) il s'est métamorphosé. En femme ».

Les hommes de « pauvres victimes » ?

Nous nous attarderons maintenant sur les fronts de bataille des masculinistes : d'abord, les défenseurs des pères divorcés ou séparés et ensuite la question de la violence faite aux hommes.

Les défenseurs des pères divorcés ou séparés : Qui sont-ils ? Que veulent-ils ?

Hélène Palma parle des regroupements d'hommes apparus dans les années 1950 dans un contexte de développement du divorce aux États-Unis. Ces groupes contestaient le fait de devoir payer une pension alimentaire et de devoir contribuer à l'éducation de l'enfant, mais bon, disons que se discours ne les rendait pas très sympathiques aux yeux de l'opinion publique... Alors, dans les années 1970-1980 la rhétorique va changer et on voit se développer des arguments sur la souffrance des pères qui seraient séparés de leurs enfants. Séparés par qui selon eux ? Par une justice féminine qui s'acharnerait sur eux. Nous parlons ici donc de la « branche paternelle » du mouvement masculiniste comme dirait Martin Dufresne. En France on retrouve une vingtaine d'associations de défense des pères séparés ou divorcés dont la plus médiatisée est SOS Papa. Dans les pays anglo-saxons ce type d'associations mènent des actions provocatrices, par exemple le britannique Fathers 4 Justice où des hommes sont déguisés en Batman pour crier la douleur de la séparation de leurs enfants ( !!) voir même violentes. En effet, au Canada et aux États-Unis ces discours et actions peuvent aller jusqu'aux menaces adressées explicitement aux personnages politiques s'ils ne font pas ce qu'ils demandent. La presse, de même qu'elle se fait l'écho de la soit disant « crise de la masculinité », s'attache de plus en plus à la « difficile condition de père divorcé/séparé ». Ainsi, Hélène Palma cite des dossiers, reportages, numéros hors-série consacrés de plus en plus à la paternité difficile de ces « pauvres hommes », du Nouvel Observateur en passant par le magazine télévisé Envoyé spécial ou le magazine féminin Elle. Ce discours envahit aussi l'espace scientifique ce qui contribue à sa banalisation. Des chercheurs et chercheuses, historien-ne-s, sociologue-s, etc. s’apitoient sur le destin de ces pères divorcés, certain-e-s d'entre eux-elles on fait ou font partie du comité d'honneur de l'association SOS Papa. Oui, en effet, après un divorce ou une séparation, la garde des enfants est, en France, majoritairement confiée à la mère. Pour les masculinistes cela pose problème car ils se sentent exclus, lésés. Cela arrive qu'ils demandent la garde et qu'il ne l'obtiennent pas, mais analysons la situation d'un peu plus près. 
 
Les masculinistes placent l'argument de « l'intérêt de l'enfant » en avant : l'intérêt de la présence du père dans l'éducation, la sacralisation du lien père-enfant, la représentation/transmission des valeurs masculines... Ces arguments se situent dans la continuation de leur vision différencialiste et essentialiste des rôles sexuels. N'oublions pas que dans les faits l'investissement paternel dans l'éducation des enfants est quasi inexistant, mais de ça les masculinistes n'en parlent pas.
Si les femmes obtiennent la garde des enfants dans la majorité des cas c'est à la demande des deux parents surtout lorsqu'il s'agit d'un divorce par consentement mutuel. La plupart du temps c'est parce que les hommes « ne se sentent pas » de garder les enfants, ne l'ayant pas fait pendant qu'ils étaient en couple, ils décident en accord avec la mère que les enfants restent avec elle. Donc il n'y a pas d'enfants « arrachés à leurs pères » comme le laisseraient croire les masculinistes. Selon eux, la garde alternée serait le modèle idéal à suivre et ils vont porter un discours d'égalité pour tou-te-s qui en théorie peut être intéressant, mais qui fait entièrement abstraction de la réalité des rapports de force inégalitaires entre les hommes et les femmes dans notre société.
Lorsqu'il y a conflit au moment du divorce les désaccords portent sur l'argent !! Ça n'a pas tant changé depuis les années 1950!!! Les conflits portent sur le montant de la pension alimentaire jugée trop élevée18. Dans le cas de la garde alternée la loi prévoit un partage équitable des frais liés à l'éducation des enfants, dans 75% des cas la pension alimentaire n'est pas versée. On pourrait croire à une situation idéale mais cela serait oublier les différences sociales et économiques des parents après un divorce. Du fait de l'investissement plus important des femmes dans l'élevage des enfants et dans les tâches ménagères (la tristement connue « double journée » des femmes), au détriment de leur vie professionnelle et de leur indépendance financière, il n'est pas rare d'observer que les inégalités de revenus entre le père et la mère lors de la séparation ou du divorce soient encore plus importants. On voit bien que le partage 50/50 des charges risque surtout de peser financièrement sur la mère. De plus, elles continuent la plupart du temps à gérer encore les questions du quotidien des enfants (suivi médical, scolaire, matériel) car un investissement à égalité n’apparaît pas par magie avec la garde alternée.
Cette garde alternée est aussi un enjeu de pouvoir puisque c'est un moyen de garder le contrôle sur leurs femmes et leurs enfants. Pensons aux cas de divorce suite à des violences du conjoint sur sa femme, une garde alternée dans ce cas serait une catastrophe. Or la justice n'est pas toujours au fait de la réalité de ces violences et la tendance actuelle est de chercher la conciliation entre les parties... Même dans ces situations les masculinistes veulent imposer cette garde au nom d'une « égalité ».

Mais nous n'avons pas affaire qu'à la revendication des droits des pères divorcés ou séparés au nom d'une « égalité ». Les masculinistes affectionnent le thème des violences subies par les hommes qui seraient selon eux volontairement occultées, passées sous silence.

Hommes battus, victimes de violences ?

Les masculinistes n'hésitent pas à dire que les enquêtes et les statistiques concernant les violences faites aux femmes, surtout les violences conjugales seraient biaisées. Ils dénoncent un « lobby féministe » qui se trouverait derrière ces études et rapports, un « lobby » qui nierait et occulterait les hommes victimes de violence. Par exemple, lors de la publication de la première grande enquête française sur les violences faites aux femmes (l'enquête ENVEFF) une offensive antiféministe s'est déclenchée. Les masculinistes critiquaient que les auteures de l'enquête soient des femmes et (oh malheur!) des féministes, ce qui poserait question sur son objectivité. Parmi les masculinistes et leurs allié-es on retrouve des personnages se revendiquant féministes comme Elisabeth Badinter qui vont accuser l'enquête de victimiser les femmes, d'amplifier les chiffres ou d'exagérer les effets de la domination masculine. C'est marrant de voir les masculinistes se soucier de la scientificité des études sur les violences faites aux femmes lorsque l'on sait que les études ou sondages qu'ils présentent pour les minimiser sont tout sauf rigoureusement scientifiques, leur chiffres sortant de nulle part. Nous avons demandé des chiffres sur les hommes battus au président du GES lors de notre action du 13 octobre dernier... silence absolu. Bizarre ? Non, il n'en ont pas car non, on ne peut pas minimiser les violences faites aux femmes comme ils le souhaitent.
Les hommes violentés par leurs femmes seraient sous-représentés car la police ne les croirait pas, ils subiraient les pressions sociales du fait d'être victime de violence et ne seraient pas reconnus en tant que tels. Ils dénoncent tout cela en oubliant de mentionner et donc en niant la réelle difficulté pour les femmes de porter plainte dans un univers policier et judiciaire surtout masculin et hostile. Les masculinistes préfèrent nier les violences faites aux femmes et se présenter comme des victimes.
Nous vivons dans une société capitaliste inégalitaire, dans laquelle s'inscrit le patriarcat, où hommes et femmes sommes confronté-e-s à une violence quotidienne. Où les injonctions de genre (femme-douceur/homme-violence physique, pour faire simple) nous sont imposées très tôt dans notre éducation. On apprend aux hommes que la violence physique est une ressource, donc même s'ils peuvent la subir, ils peuvent surtout s'en servir. C'est le résultat de millénaires de culte à la virilité chez les hommes (nous n'avons qu'à jeter un coup d'oeil aux films d'action ou de super-héros), car les armes des femmes seraient la sensibilité, la douceur et l'empathie. Dans ce cadre là, si les hommes subissent des violences, elles sont surtout le fait d'autres hommes.
Mais alors, les masculinistes sortent une autre thématique qui leur est chère : la violence psychologique qu'ils subiraient. En gros, les femmes (éternelles manipulatrices et sorcières selon eux) les pousseraient « à bout » et chercheraient à être battues pour pouvoir obtenir le divorce et la garde des enfants tant désirés. Les « pauvres » seraient donc contraints à la violences physique contre leurs conjointes et victimes de leurs manipulations. Ça va pas un peu loin, là ? Si, si, les femmes seraient responsables des coups qu'elles reçoivent...
Nous ne nions pas que des femmes puissent être violentes mais nous n'acceptons pas que les masculinistes se servent de ce constat pour relativiser ou nier la domination et les violences structurelles masculines. Car telle est la motivation derrière l'intérêt soudain pour les violences subies par les hommes et la création d'associations telles que SOS Hommes battus. Nous pouvons entendre : « Il y a 138 rapports scientifiques qui disent que la violence conjugale, c'est symétrique, c'est quasiment 50/50 »19. Quels rapports ? Jamais mentionnés... Nous ne nions pas que des hommes subissent des violences au sein de leur couple mais ce ne sont que quelques cas ponctuels, montés en épingle pour nous apitoyer. Les masculinistes tentent de montrer que ce serait un phénomène d'une importance majeure, mais ce n'est pas le cas ! Les violences domestiques touchent d'abord et à une large majorité les femmes et dans le couple se sont les hommes qui sont responsables des violences les plus répétitives et brutales, dont celles entraînant la mort. Les violences subies par les femmes sont un fait social, elle ne sont pas des faits marginaux ou isolés, elles s'inscrivent dans le système patriarcal, un système de domination des hommes sur les femmes qui passe, entre autres par l'appropriation du travail domestique gratuit des femmes par la société. Non il n'est pas question de symétrie ou d'équivalence des violences !
Un troisième thème prisé par les masculinistes est celui des suicides des hommes, excellent moyen de développer leurs thèses victimisantes. Les études montrent que le taux de suicides des hommes est, partout dans le monde, plus élevé que celui des femmes. Les masculinistes reprennent ces chiffres pour affirmer que les hommes seraient plus malheureux que les femmes, voire victimes de celles-ci. Par contre les taux de tentatives de suicide montrent qu'ils sont comparables chez les hommes et les femmes, voire plus importantes chez les femmes dans certaines régions du monde. Le fait n'est donc pas que les hommes soient plus malheureux, c'est juste qu'ils « arrivent » plus souvent que les femmes à s'ôter la vie. Cela s'explique par le choix des méthodes employées pour se tuer. Les normes de genre sont aussi présentes ici : on observe que les hommes utilisent des moyens violents (pendaison, armes à feu...) et donc plus efficaces que ceux utilisés par les femmes (arme « douce », prise de médicaments...). Rappelons aussi que la cause d'un suicide ne peut être réduite qu'à un seul facteur, mais les masculinistes n'hésitent pas à pointer du doigt les femmes et le mal-être des hommes (en raison d'une « crise de la masculinité » par exemple). Mais il faudrait plutôt regarder du côté de la sphère du travail et de l'économie pour comprendre le suicide des hommes. Les hommes se construisent dans notre société autour d'une identité professionnelle (comme les femmes se construisent autour d'une identité de mères), on peut facilement comprendre que dans un tel cadre les hommes investissent entièrement cette identité. Lorsqu'on se retrouve dans une période de crise et d'insécurité économique les hommes sont plus vulnérables, sans perspectives, précaires. Ainsi peut s'expliquer par exemple l'élévation du nombre de suicides en temps de crise.

Les masculinistes sont surtout des hommes craignant de perdre leurs privilèges au sein d'une société patriarcale. Comme on l'a vu ce mouvement a une longue histoire ce qui nous permet de ne pas leur donner trop d'importance. Par contre, dans une période où les discours réactionnaires montent il faut rester vigilants car les masculinistes ne sont pas isolés et sont même en lien avec certains groupes d'extrême droite xénophobe, un de ces masculinistes notoire est Alain Soral20. Ce mouvement est un composé de divers types d'associations dont le discours tourne autour de trois thèmes principaux, reliés entre eux : la crise de l'identité masculine, la défense des pères divorcés et séparés et la défense des hommes battus. La « masculinité » est un concept flou et nous pensons que l'identité des individus se construit dans la société et qu'elle n'est pas innée. Donc nous ne pensons pas qu'il y ait des identités masculines ou féminines naturelles. Nous vivons dans une société patriarcale et capitaliste où la compétitivité, la force, voire la violence sont vues comme des ressources. Notre éducation différenciée, genrée a fait que ces valeurs soient transmises plutôt chez les hommes. Et ce sont aussi les hommes qui sont les héros et super-héros... Même si Superféministe est là pour finir avec la domination et les inégalités !! Car derrière les discours « égalitaires » des masculinistes se trouve la réaffirmation de leur position dominante. On peut finir avec une citation de Virginie Despentes par Hélène Palma21qui résume assez bien la situation. V.D disait cela en mars 2007 au magazine Elle :

« On se fait engueuler parce que les hommes ont peur. C’est tout de même épatant, et pour le moins moderne, un dominant qui vient chialer que le dominé n’y met pas assez du sien ».

Pour aller plus loin...

Sur le genre :
  • C. Delphy, L'ennemi principal 1 et 2, Paris, Syllepses, 2001.
  • C. Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir L'idée de nature, Éditions côté femmes, 1992
Sur le masculinisme :
  • Un mouvement contre les femmes-Identifier et combattre le masculinisme, brochure téléchargeable sur le site lgbti.un-e.org
  • M. Blais et F. Dupuis-Déri, Le mouvement masculiniste au Québec, l'anti-féminisme démasqué, Montréal, Les éditions du Remue-ménage, 2008.
  • M. Dufresne, « Masculinisme et criminalité sexiste » in Recherches féministes, vol.11, n°2, 1998.
  • F. Dupuis-Déri, « Masculinisme, une histoire politique du mot » (en anglais et en français) in Recherches féministes, vol. 22, n°2, 2009.
  • H. Palma, « La percée de la mouvance masculiniste en Occident » publié le lundi 5 mai 2008 in http://sisyphe.org/spip.php?article2941
Sur les violences faites aux femmes:
  • M. Jaspard, Les violences faites contre les femmes, Paris, La Découverte, 2011
  • C. Delphy (sous la dir.), Un troussage de domestique, Paris, Syllepses, 2011
Notes: 
1Précisons que le terme de masculinisme est un terme critique qui n'est pas revendiqué par ces mouvements qui vont se référer aux notions d' « hominisme » ou de « défenseurs des droits des pères ».
2H. Palma, « La percée de la mouvance masculiniste en Occident » publié le lundi 5 mai 2008 in http://sisyphe.org/spip.php?article2941
3Idem.
4M. Blais et F. Dupuis-Déri (dir.), Le mouvement masculiniste au Québec : L'antiféminisme démasqué, Montréal, Remue-ménage, 2008.
5Colloque sur « Les coûts de la masculinité » organisé par le Centre de Recherches Politiques de la Sorbonne (Paris 1) et le Centre de Recherches sur l'Action Politique en Europe (Rennes 1), 14-15 janvier 2010, Institut Politiques de Rennes.
6Procès qui ont permis aussi l'élimination de savoirs féminins anciens tels que le contrôle de la fertilité par exemple.
7S. Federici, Caliban and the Witch : Women, the Body ans Primitive Accumulation, Brooklyn, Autonomedia, 2004 ; Joan Kelly, Women, History, and Theory, Chicago, Chicago University Press, 1984.
8F. Dupuis-Déri fait référence au livre : B.J. Baines (dir.), Three Pamphlets on the Jacobean Antifeminist Controversy, Delmar (NY), Scholar's Facsimilies & Reprints, 1978.
9Cité par A. Maugue, L'identité masculine en crise ; Au tournant du siècle, Paris, Payot-Rivages, 2001, [1987].
10Idem.
11E. Badinter, XY, De l'identité masculine, Paris, Odile Jacob, 1992.
12L'UMP préfère par exemple, encore aujourd’hui, payé des amendes que de respecter la parité au sein de ses listes.
13L'INSEE montre que les femmes gagnent en moyenne 25% de moins que les hommes.
14R.Régnier Loillier, « L'arrivée d'un enfant modifie-t-elle la répartition des tâches domestiques au sein du couple ? » in Population et société, n°461, novembre 2009.
15E. Zemmour, Le premier sexe, quatrième de couverture consulté sur internet. (Je n'allais quand même pas l'acheter, le quatrième de couverture étant assez pour mon goût!).
16Article Wikipedia sur la tuerie de Polytechnique de Montréal : http://fr.wikipedia.org/wiki/Tuerie_de_l%27%C3%89cole_polytechnique_de_Montr%C3%A9al
17Cité par F. Dupuis-Déri, conférence lors du colloque « Coûts de la masculinité », déjà cité.
18L. Chaussebourg, La contribution à l'entretien et l'éducation des enfants mineurs dans les jugements de divorce, INFSTAT JUSTICE, bulletin d'information statistique n°93, février 2007.
19S. Ferrand, La vérité sur les violences conjugales, paru dans l'Express, lundi 20 juin 2005.
20A. Soral, Vers la féminisation ? Démontage d'un complot antidémocratique. Paris, Éditions Blanche , 2007 dont les idées remontent à 1999 et où il dit par exemple que : « la femme est fondamentalement sans vision politique et projet social ».
21H. Palma, « La percée de la mouvance... » art.cit.

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