Un article un peu de fond sur le masculinisme...
Le
masculinisme1
c'est quoi au fait ?
Nous
allons faire un petit retour historique, une analyse un peu théorique
(mais pas trop, promis!) et surtout un peu plus approfondie sur ce
mouvement masculiniste qui prône une soit disant « crise de la
masculinité » néfaste pour la société en général et les
hommes en particulier. Nous analyserons les principales idées et
revendications de ce « mouvement » pour montrer ô
combien elles sont éloignées de la réalité ! Nous
démonterons d'abord leur argument phare d'une « crise de la
masculinité » qui s'abattrait sur eux et nous tou-te-s.
Ensuite, nous nous attarderons sur leurs principaux chevaux de
bataille : la « défense des droits des pères divorcés
ou séparés » et les « violences subies par les
hommes ». Nous reviendrons tout le long sur des exemples précis
et nous appuierons sur ce que ces masculinistes ont pu dire ou écrire
pour mieux montrer la dangerosité de leur discours.
Une
première définition...
Le
masculinisme est défini par Hélène Palma comme « une
idéologie
rampante »
qui tend à affirmer que les hommes sont victimes « des excès »
des femmes qui, « auraient exagéré », ayant obtenu
« trop de droits, de libertés (…) elles seraient devenues
« incontrôlables » »2.
En effet, selon cette auteure, le
masculinisme serait une idéologie très ancienne qui aurait pris
« au cours des dernières décennies, la forme d’une mouvance
d’une radicalité extrême dont l’objectif non avoué, (...) est
d’entraver la liberté des femmes que les acteurs de cette mouvance
ne considèrent pas comme leurs égales »3.
Elle fait remonter l'origine de cette mouvance aux années 1950 où
l'on voit apparaître les premiers regroupements d'hommes qui, vu le
développement du divorce, vont contester les pensions alimentaires
par exemple. Le « masculinisme »
ou le « discours
de la crise de la masculinité »
n'est pas nouveau et il est intéressant de repérer son histoire
pour ne pas tomber dans le piège de ces mouvements et leur discours
sur une « crise de la masculinité » qui serait propre à
notre temps et due aux avancées d'un féminisme qui « serait
allé trop loin ».
Une
« crise de la masculinité » ?
Nous
nous appuierons sur l'idée développée par Francis Dupuis-Déri,
chercheur canadien, spécialiste entre autres du mouvement
« masculiniste »4
lors d'une conférence au colloque sur « Les coûts de la
masculinité »5.
Il montre qu'à plusieurs moments de l'histoire de l'occident depuis
la sortie du Moyen-Âge
des discours de « crise de la masculinité » se sont
développés. Par exemple dès la fin du XVe
siècle,
les procès pour sorcellerie se développent de façon importante
avec des discours
visant à accroître la méfiance des hommes envers des femmes
aux pouvoirs magiques6.
En même temps, la montée de l'idéologie nataliste voit le jour et
donc la répression de la contraception, l'avortement et
l'infanticide mais aussi de la prostitution et de l'adultère des
femmes (passibles de peine de mort!!) : ce
sont les moyens de contrôle du corps des femmes qui se
développent !!
Il
repère dans ce contexte
« de renforcement du patriarcat »
le développement de discours de « crise de la masculinité »
chez les élites et dirigeants européens. Par exemple, chez les
élites anglaises du XVIe7
qui s'inquiètent
du non respect de la différenciation des sexes
(et oui, ça remonte à longtemps tout cela !!!). Par exemple,
des pamphlets critiquent tantôt « les femmes à cheveux courts
[portant] un poignard », tantôt « les hommes poudrés de
la cour »8 !
Ainsi, comme aujourd'hui, nous avons à faire à un discours
de crise
et non à
une crise
à
proprement parler puisque
nous savons bien qu'à cette époque ce sont les hommes qui ont le
contrôle de la société. Au XIXe
siècle,
le même discours est présent avec des représentants connus comme
Proudhon pour qui « mieux vaut une femme estropiée à la
maison qu'une coquette ingambe à la promenade »9
ou Alexandre Dumas fils qui va « encourage[r] les hommes à
« « reconquérir » la nature, les femmes et les
enfants […] pour s'affirmer mâle »10.
Y en a qui paniquent et s'exclament « c'est nous, les hommes
qui feront les confitures et les cornichons » !!11
dans un
contexte où les femmes n'ont aucun droit politique en France !
Nous
avons cité ces quelques exemples qui nous semblent assez révélateurs
de la récurrence
du discours de « crise de la masculinité » dans
l'histoire occidentale
car il est facile d'oublier cette récurrence tellement nous sommes
martelé-e-s
par la « nouveauté »
du « mouvement masculiniste ».
Dupuis-Déri va conclure en montrant quatre similarités entre « les
crises » du passé et celle d'aujourd'hui. D'un côte, on
exagère
l'influence du « féminin » sur le « déclin du
masculin »,
ensuite, ces discours se développent dans un contexte
où les hommes se trouvent en position dominante dans la société.
Voilà quelques exemples, des tristes évidences qui prouvent la
position dominante des hommes aujourd'hui : les femmes sont
sous-représentées à l'Assemblée nationale12
et à la tête des entreprises. Elles gagnent moins que les hommes13,
elles consacrent, encore de nos jours, plus de temps que les hommes à
s'occuper des enfants, des tâches domestiques14.
Ensuite certains, tel Eric Zemmour, disserteront sur l'influence du
« féminin » sur le soit disant « déclin du
masculin » par exemple il dénonce l'oubli
du « macho viril »15.
Pourtant nous n'avons qu'à aller voir, du côté des modèles
« masculins » et virils qui nous bombardent dans la
société pour démonter leur argumentaire. Sportifs, génies
artistiques, présidents, les plus riches au monde mais aussi, les
soldats, les terroristes, les héros de films d'actions, les
super-héros de plus en plus musclés sont... tous des hommes !!
Alors qu'on vienne pas nous dire qu'il y aurait un manque de
« modèles masculins », ils sont toujours présents
partout, ces « modèles » d'hommes virils, violents et
forts. Ce qui n'est pas sans nous déplaire (naturalisation des rôles
de genre, etc.) mais nous en reparlerons dans un autre article
promis ! ;-). Ce discours
de crise cherche aussi à délégitimer l'émancipation des femmes
et porte
en lui l'idée d'une « différence naturelle » entre les
sexes et d'une « nature masculine » à revendiquer,
des notions qui restent floues et non définies.
En effet, dès que
des femmes accèdent à des métiers ou des études
traditionnellement « masculins », les masculinistes
crient au danger ! Pour certains, une seule femme est déjà le
risque d'une féminisation des métiers et par la suite de la
société...
Prenons le triste exemple de la tuerie à Polytechnique
au Québec (Canada). Le
6
décembre 1989,
Marc
Lépine, armé d’une carabine semi-automatique tue 13
étudiantes et une employée de
l'École
polytechnique de Montréal.
Il blesse aussi 13 autres personnes, dont
neuf
femmes
et
quatre hommes, avant de s’ôter la vie. Le tueur a fait irruption
dans une salle de cours et il demande aux garçons de se ranger d’un
côté de la classe et aux filles de l’autre côté. Lépine fait
sortir les garçons et criera ensuite aux femmes restantes :
« Je combats le féminisme » et «Vous êtes des filles.
Vous allez devenir ingénieurs. Je hais les féministes»16.
C’est alors qu’il ouvre le feu et qu'il
tue 14 femmes et se donne la mort.
Voilà un exemple extrême de ce que le masculinisme peut faire. Même
si il n'y avait que 19% de femmes étudiantes à Polytechnique à la
date de la tuerie, Lépine considérait que leur présence était
déjà de trop. La
place des femmes n'est pas à Polytechnique, on le sait bien, mais à
la cuisine en faisant des petits-fours à son « gentil
mari »...
Et puis, pour ce qui est de cette crise d'une « identité
masculine naturelle » : elle nous pose problème car nous
ne pensons pas qu'il y ait une identité naturelle, déconnectée du
social. Nous
ne sommes pas essentialistes, nous pensons que nos identités se
construisent dans la société, nous ne pensons pas que l'on soit
programmé biologiquement ou génétiquement pour faire certaines
tâches ou nous comporter d'une certaine façon, etc.
(ex. femme-ménage-sensible, homme-bricolage-physique). Non,
nous combattons ce discours car il tend à légitimer la hiérarchie
entre les hommes et les femmes et à légitimer les inégalités.
Donc derrière cette revendication d'une « identité
masculine » perdue ou en train de se perdre, qui leur permet de
se présenter comme des victimes, nous avons affaire à un discours
qui défend le pouvoir des hommes et leur position dominante dans la
société. Un discours qui refuse clairement l'égalité entre les
hommes et les femmes. Yvon Dallaire, psychologue et sexologue
masculiniste canadien, très médiatisé, a déclaré sur les ondes
de Radio-Canada
« tous
les être humains sont égaux. Mais si tout le monde était sur le
même pied, ce serait le chaos. (…) Et c'est le rôle des hommes
dans la société [de] structurer. »17 .
On
est égaux mais pas complètement, alors...
Nous
refusons d'accepter ce genre de discours !!
Pour finir, n'oublions pas combien un « discours de crise »
est plus « vendeur » qu'un discours sur la simple et
triste réalité. Les médias sont friands de ce genre
d'informations, le discours de crise permet aux masculinistes
d'accéder aux espaces publics et médiatiques et de développer
leurs thèses comme ils le souhaitent. L'un des personnages les plus
médiatisés en France est, comme on l'a dit, Eric Zemmour, auteur du
livre Le premier sexe dont
le quatrième de couverture
résume son positionnement : « Après des décennies de
féminisme forcené, que reste-il de l'homme ? (…) il s'est
métamorphosé. En femme ».
Les
hommes de « pauvres victimes » ?
Nous
nous attarderons maintenant sur les fronts de bataille des
masculinistes : d'abord, les défenseurs des pères divorcés ou
séparés et ensuite la question de la violence faite aux hommes.
Les
défenseurs des pères divorcés ou séparés : Qui sont-ils ?
Que veulent-ils ?
Hélène Palma parle des regroupements d'hommes apparus dans les
années 1950 dans un contexte de développement du divorce aux
États-Unis. Ces groupes contestaient le fait de devoir payer une
pension alimentaire et de devoir contribuer à l'éducation de
l'enfant, mais bon, disons que se discours ne les rendait pas très
sympathiques aux yeux de l'opinion publique... Alors, dans les années
1970-1980 la rhétorique va
changer et on voit se développer des arguments sur la souffrance des
pères qui seraient séparés de leurs enfants. Séparés
par qui selon eux ? Par une justice féminine qui s'acharnerait
sur eux. Nous parlons ici donc de la « branche paternelle »
du mouvement masculiniste comme dirait Martin Dufresne. En France
on retrouve une vingtaine d'associations de défense des pères
séparés ou divorcés dont la plus médiatisée est SOS Papa.
Dans les pays anglo-saxons ce type d'associations mènent des actions
provocatrices, par exemple le britannique Fathers 4 Justice
où des hommes sont déguisés en Batman pour crier la douleur de la
séparation de leurs enfants ( !!) voir même violentes. En
effet, au Canada et aux États-Unis ces discours et actions peuvent
aller jusqu'aux menaces adressées explicitement aux personnages
politiques s'ils ne font pas ce qu'ils demandent. La presse, de même
qu'elle se fait l'écho de la soit disant « crise de la
masculinité », s'attache de plus en plus à la « difficile
condition de père divorcé/séparé ». Ainsi, Hélène Palma
cite des dossiers, reportages, numéros hors-série consacrés de
plus en plus à la paternité difficile de ces « pauvres
hommes », du Nouvel
Observateur en passant par le
magazine télévisé Envoyé spécial ou
le magazine féminin Elle. Ce
discours envahit aussi l'espace scientifique ce qui contribue à sa
banalisation. Des chercheurs et chercheuses, historien-ne-s,
sociologue-s, etc. s’apitoient sur le destin de ces pères
divorcés, certain-e-s d'entre eux-elles on fait ou font partie du
comité d'honneur de l'association SOS Papa. Oui, en effet, après un
divorce ou une séparation, la garde des enfants est, en France,
majoritairement confiée à la mère. Pour les masculinistes cela
pose problème car ils se sentent exclus, lésés. Cela arrive qu'ils
demandent la garde et qu'il ne l'obtiennent pas, mais analysons la
situation d'un peu plus près.
Les masculinistes
placent l'argument de « l'intérêt de l'enfant » en
avant : l'intérêt de la présence du père dans l'éducation,
la sacralisation du lien père-enfant, la représentation/transmission
des valeurs masculines... Ces arguments se situent dans la
continuation de leur vision différencialiste et essentialiste des
rôles sexuels. N'oublions pas que dans les faits l'investissement
paternel dans l'éducation des enfants est quasi inexistant, mais de
ça les masculinistes n'en parlent pas.
Si les femmes
obtiennent la garde des enfants dans la majorité des cas c'est à la
demande des deux parents surtout lorsqu'il s'agit d'un divorce
par consentement mutuel. La plupart du temps c'est parce que les
hommes « ne se sentent pas » de garder les enfants, ne
l'ayant pas fait pendant qu'ils étaient en couple, ils décident en
accord avec la mère que les enfants restent avec elle. Donc il n'y a
pas d'enfants « arrachés à leurs pères » comme le
laisseraient croire les masculinistes. Selon eux, la garde alternée
serait le modèle idéal à suivre et ils vont porter un discours
d'égalité pour tou-te-s qui en théorie peut être intéressant,
mais qui fait entièrement abstraction de la réalité des rapports
de force inégalitaires entre les hommes et les femmes dans notre
société.
Lorsqu'il
y a conflit au moment du divorce les désaccords portent sur
l'argent !!
Ça n'a pas tant changé depuis les années 1950!!! Les conflits
portent sur le montant de la pension alimentaire jugée trop élevée18. Dans le cas de la garde
alternée la loi prévoit un partage équitable des frais liés à
l'éducation des enfants, dans 75% des cas la pension alimentaire
n'est pas versée. On pourrait croire à une situation idéale mais
cela serait oublier les différences sociales et économiques des
parents après un divorce. Du fait de l'investissement plus
important des femmes dans l'élevage des enfants et dans les tâches
ménagères (la tristement connue « double journée » des
femmes), au détriment de leur vie professionnelle et de leur
indépendance financière, il n'est pas rare d'observer que les
inégalités de revenus entre le père et la mère lors de la
séparation ou du divorce soient encore plus importants. On voit bien
que le partage 50/50 des charges risque surtout de peser
financièrement sur la mère. De plus, elles continuent la
plupart du temps à gérer encore les questions du quotidien des
enfants (suivi médical, scolaire, matériel) car un
investissement à égalité n’apparaît pas par magie avec la garde
alternée.
Cette garde alternée
est aussi un enjeu de pouvoir puisque c'est un moyen de garder le
contrôle sur leurs femmes et leurs enfants. Pensons aux cas de
divorce suite à des violences du conjoint sur sa femme, une garde
alternée dans ce cas serait une catastrophe. Or la justice n'est pas
toujours au fait de la réalité de ces violences et la tendance
actuelle est de chercher la conciliation entre les parties... Même
dans ces situations les masculinistes veulent imposer cette garde au
nom d'une « égalité ».
Mais
nous n'avons pas affaire qu'à la revendication des droits des pères
divorcés ou séparés au nom d'une « égalité ». Les
masculinistes affectionnent le thème des violences subies par les
hommes qui seraient selon eux volontairement occultées, passées
sous silence.
Hommes
battus, victimes de violences ?
Les
masculinistes n'hésitent pas à dire que les enquêtes et les
statistiques concernant les violences faites aux femmes, surtout les
violences conjugales seraient biaisées. Ils dénoncent un « lobby
féministe » qui se trouverait derrière ces études et
rapports, un « lobby » qui nierait et occulterait les
hommes victimes de violence. Par exemple, lors de la publication de
la première grande enquête française sur les violences faites aux
femmes (l'enquête ENVEFF) une offensive antiféministe s'est
déclenchée. Les masculinistes critiquaient que les auteures de
l'enquête soient des femmes et (oh malheur!) des féministes, ce qui
poserait question sur son objectivité. Parmi les masculinistes et
leurs allié-es on retrouve des personnages se revendiquant
féministes comme Elisabeth Badinter qui vont accuser l'enquête
de victimiser les femmes, d'amplifier les chiffres ou d'exagérer les
effets de la domination masculine. C'est marrant de voir les
masculinistes se soucier de la scientificité des études sur les
violences faites aux femmes lorsque l'on sait que les études ou
sondages qu'ils présentent pour les minimiser sont tout sauf
rigoureusement scientifiques, leur chiffres sortant de nulle part.
Nous avons demandé des chiffres sur les hommes battus au président
du GES lors de notre action du 13 octobre dernier... silence absolu.
Bizarre ? Non, il n'en ont pas car non, on ne peut pas
minimiser les violences faites aux femmes comme ils le souhaitent.
Les
hommes violentés par leurs femmes seraient sous-représentés car la
police ne les croirait pas, ils subiraient les pressions sociales du
fait d'être victime de violence et ne seraient pas reconnus en tant
que tels. Ils dénoncent tout cela en oubliant de mentionner et donc
en niant la réelle difficulté pour les femmes de porter plainte
dans un univers policier et judiciaire surtout masculin et hostile.
Les masculinistes préfèrent nier les violences faites aux femmes
et se présenter comme des victimes.
Nous
vivons dans une société capitaliste inégalitaire, dans laquelle
s'inscrit le patriarcat, où hommes et femmes sommes confronté-e-s à
une violence quotidienne. Où les injonctions de genre
(femme-douceur/homme-violence physique, pour faire simple) nous sont
imposées très tôt dans notre éducation. On apprend aux hommes
que la violence physique est une ressource, donc même s'ils peuvent
la subir, ils peuvent surtout s'en servir. C'est le résultat de
millénaires de culte à la virilité chez les hommes (nous n'avons
qu'à jeter un coup d'oeil aux films d'action ou de super-héros),
car les armes des femmes seraient la sensibilité, la douceur et
l'empathie. Dans ce cadre là, si les hommes subissent des violences,
elles sont surtout le fait d'autres hommes.
Mais
alors, les masculinistes sortent une autre thématique qui leur est
chère : la violence psychologique qu'ils subiraient. En
gros, les femmes (éternelles manipulatrices et sorcières selon eux)
les pousseraient « à bout » et chercheraient à être
battues pour pouvoir obtenir le divorce et la garde des enfants tant
désirés. Les « pauvres »
seraient donc contraints à la violences physique contre leurs
conjointes et victimes de leurs manipulations. Ça
va pas un peu loin, là ? Si, si, les femmes seraient
responsables des coups qu'elles reçoivent...
Nous
ne nions pas que des femmes puissent être violentes mais nous
n'acceptons pas que les masculinistes se servent de ce constat pour
relativiser ou nier la domination et les violences structurelles
masculines.
Car telle est la motivation derrière l'intérêt soudain pour les
violences subies par les hommes et la création d'associations telles
que SOS
Hommes
battus.
Nous pouvons entendre : « Il y a 138 rapports
scientifiques qui disent que la violence conjugale, c'est symétrique,
c'est quasiment 50/50 »19.
Quels rapports ? Jamais mentionnés... Nous ne nions pas que des
hommes subissent des violences au sein de leur couple mais ce ne sont
que quelques cas ponctuels, montés en épingle pour nous apitoyer.
Les masculinistes tentent de montrer que ce serait un phénomène
d'une importance majeure, mais ce n'est pas le cas ! Les
violences domestiques touchent d'abord et à une large majorité les
femmes et dans le couple se sont les hommes qui sont responsables des
violences les plus répétitives et brutales, dont celles entraînant
la mort. Les violences subies par les femmes sont un fait social,
elle ne sont pas des faits marginaux ou isolés, elles s'inscrivent
dans le système patriarcal, un
système de domination des hommes sur les femmes qui passe, entre
autres par l'appropriation du travail domestique gratuit des femmes
par la société. Non il n'est pas question de symétrie ou
d'équivalence des violences !
Un
troisième thème prisé par les masculinistes est celui des suicides
des hommes, excellent moyen de développer leurs thèses
victimisantes. Les études montrent que le taux de suicides des
hommes est, partout dans le monde, plus élevé que celui des femmes.
Les masculinistes reprennent ces chiffres pour affirmer que les
hommes seraient plus malheureux que les femmes, voire victimes de
celles-ci. Par contre les taux de tentatives de suicide montrent
qu'ils sont comparables chez les hommes et les femmes, voire plus
importantes chez les femmes dans certaines régions du monde. Le
fait n'est donc pas que les hommes soient plus malheureux, c'est
juste qu'ils « arrivent » plus souvent que les femmes à
s'ôter la vie. Cela s'explique par le choix des méthodes
employées pour se tuer. Les normes de genre sont aussi présentes
ici : on observe que les hommes utilisent des moyens violents
(pendaison, armes à feu...) et donc plus efficaces que ceux utilisés
par les femmes (arme « douce », prise de médicaments...).
Rappelons aussi que la cause d'un suicide ne peut être réduite qu'à
un seul facteur, mais les masculinistes n'hésitent pas à pointer du
doigt les femmes et le mal-être des hommes (en raison d'une « crise
de la masculinité » par exemple). Mais il faudrait plutôt
regarder du côté de la sphère du travail et de l'économie pour
comprendre le suicide des hommes. Les hommes se construisent dans
notre société autour d'une identité professionnelle (comme les
femmes se construisent autour d'une identité de mères), on peut
facilement comprendre que dans un tel cadre les hommes investissent
entièrement cette identité. Lorsqu'on se retrouve dans une
période de crise et d'insécurité économique les hommes sont plus
vulnérables, sans perspectives, précaires. Ainsi peut s'expliquer
par exemple l'élévation du nombre de suicides en temps de crise.
Les
masculinistes sont surtout des hommes craignant de perdre leurs
privilèges au sein d'une société patriarcale. Comme on l'a vu ce
mouvement a une longue histoire ce qui nous permet de ne pas leur
donner trop d'importance. Par contre, dans une période où les
discours réactionnaires montent il faut rester vigilants car les
masculinistes ne sont pas isolés et sont même en lien avec certains
groupes d'extrême droite xénophobe, un de ces masculinistes
notoire est Alain Soral20.
Ce mouvement est un composé de divers types d'associations dont le
discours tourne autour de trois thèmes principaux, reliés entre
eux : la crise de l'identité masculine, la défense des pères
divorcés et séparés et la défense des hommes battus. La
« masculinité » est un concept flou et nous pensons que
l'identité des individus se construit dans la société et qu'elle
n'est pas innée. Donc nous ne pensons pas qu'il y ait des identités
masculines ou féminines naturelles. Nous vivons dans une société
patriarcale et capitaliste où la compétitivité, la force, voire la
violence sont vues comme des ressources. Notre éducation
différenciée, genrée a fait que ces valeurs soient transmises
plutôt chez les hommes. Et ce sont aussi les hommes qui sont les
héros et super-héros... Même si Superféministe est là pour finir
avec la domination et les inégalités !! Car derrière les
discours « égalitaires » des masculinistes se trouve la
réaffirmation de leur position dominante. On peut finir avec une
citation de Virginie Despentes par Hélène Palma21qui
résume assez bien la situation. V.D disait cela en mars 2007 au
magazine Elle :
« On se fait
engueuler parce que les hommes ont peur. C’est tout de même
épatant, et pour le moins moderne, un dominant qui vient chialer que
le dominé n’y met pas assez du sien ».
Pour
aller plus loin...
Sur
le genre :
- C. Delphy, L'ennemi principal 1 et 2, Paris, Syllepses, 2001.
- C. Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir L'idée de nature, Éditions côté femmes, 1992
Sur
le masculinisme :
- Un mouvement contre les femmes-Identifier et combattre le masculinisme, brochure téléchargeable sur le site lgbti.un-e.org
- M. Blais et F. Dupuis-Déri, Le mouvement masculiniste au Québec, l'anti-féminisme démasqué, Montréal, Les éditions du Remue-ménage, 2008.
- M. Dufresne, « Masculinisme et criminalité sexiste » in Recherches féministes, vol.11, n°2, 1998.
- F. Dupuis-Déri, « Masculinisme, une histoire politique du mot » (en anglais et en français) in Recherches féministes, vol. 22, n°2, 2009.
- H. Palma, « La percée de la mouvance masculiniste en Occident » publié le lundi 5 mai 2008 in http://sisyphe.org/spip.php?article2941
Sur
les violences faites aux femmes:
- M. Jaspard, Les violences faites contre les femmes, Paris, La Découverte, 2011
- C. Delphy (sous la dir.), Un troussage de domestique, Paris, Syllepses, 2011
Notes:
1Précisons
que le terme de masculinisme est un terme critique qui n'est pas
revendiqué par ces mouvements qui vont se référer aux notions d'
« hominisme » ou de « défenseurs des droits des
pères ».
2H.
Palma, « La percée de la mouvance masculiniste en Occident »
publié le lundi 5 mai 2008 in
http://sisyphe.org/spip.php?article2941
3Idem.
4M.
Blais et F. Dupuis-Déri (dir.), Le mouvement masculiniste au
Québec : L'antiféminisme démasqué,
Montréal, Remue-ménage, 2008.
5Colloque
sur « Les coûts de la masculinité » organisé par le
Centre de Recherches Politiques de la Sorbonne (Paris 1) et le
Centre de Recherches sur l'Action Politique en Europe (Rennes 1),
14-15 janvier 2010, Institut Politiques de Rennes.
6Procès
qui ont permis aussi l'élimination de savoirs féminins anciens
tels que le contrôle de la fertilité par exemple.
7S.
Federici, Caliban and the Witch : Women, the Body ans
Primitive Accumulation,
Brooklyn, Autonomedia, 2004 ; Joan Kelly, Women,
History, and Theory, Chicago,
Chicago University Press, 1984.
8F.
Dupuis-Déri fait référence au livre : B.J. Baines (dir.),
Three Pamphlets on the Jacobean Antifeminist Controversy,
Delmar (NY), Scholar's Facsimilies & Reprints, 1978.
9Cité
par A. Maugue, L'identité masculine en crise ; Au tournant
du siècle, Paris,
Payot-Rivages, 2001, [1987].
10Idem.
11E.
Badinter, XY, De l'identité masculine,
Paris, Odile Jacob, 1992.
12L'UMP
préfère par exemple, encore aujourd’hui, payé des amendes que
de respecter la parité au sein de ses listes.
13L'INSEE
montre que les femmes gagnent en moyenne 25% de moins que les
hommes.
14R.Régnier
Loillier, « L'arrivée d'un enfant modifie-t-elle la
répartition des tâches domestiques au sein du couple ? »
in Population et société,
n°461, novembre 2009.
15E.
Zemmour, Le premier sexe,
quatrième de couverture consulté sur internet. (Je n'allais quand
même pas l'acheter, le quatrième de couverture étant assez pour
mon goût!).
16Article
Wikipedia sur la tuerie de Polytechnique de Montréal :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Tuerie_de_l%27%C3%89cole_polytechnique_de_Montr%C3%A9al
17Cité
par F. Dupuis-Déri, conférence lors du colloque « Coûts
de la masculinité »,
déjà cité.
18L.
Chaussebourg, La contribution à l'entretien et l'éducation des
enfants mineurs dans les jugements de divorce,
INFSTAT JUSTICE, bulletin d'information statistique n°93, février
2007.
19S.
Ferrand, La vérité sur les violences conjugales,
paru dans l'Express, lundi 20 juin 2005.
20A.
Soral, Vers la féminisation ? Démontage d'un complot
antidémocratique. Paris,
Éditions Blanche , 2007 dont
les idées remontent à 1999 et où il dit par exemple que :
« la femme est fondamentalement sans vision politique et
projet social ».
21H.
Palma, « La percée de la mouvance... » art.cit.